En cette fin novembre, la fantaisie polychrome des paysages d’automne a laissé la place à une ambiance un peu vaporeuse dans le
vignoble alsacien.
Vue d’Andlau sur les pentes du Kastelberg recouvertes des premières neiges de novembre
Après l’agitation de la période des vendanges la vigne profite de cette sérénité retrouvée pour se ressourcer et les vignerons
retrouvent un rythme de vie moins trépidant dans leurs caves où les jus du nouveau millésime fermentent calmement.
A quelques kilomètres de la capitale alsacienne qui fête l’ouverture de la foire au gogos (mais non, je n’ai pas oublié le L) et
au vin chaud, certains vignerons ont choisi de rompre la trêve hivernale en ouvrant grand les portes de leur domaine aux amateurs de vins d’Alsace.
C’est avec quelques semaines de retard (ah ces satanées vendanges 2010 !) que Claude Moritz, organise sa traditionnelle
journée portes ouvertes en conviant les amis du domaine à une visite de cave et une dégustation verticale sur l’un de ses Grands Crus : au programme de cette année, les rieslings
Moenchberg.
Arrivé au domaine vers 16 heures, je rejoins un groupe d’une bonne vingtaine de convives prêts à déguster une dizaine de
millésimes de ce Grand Cru en compagnie du vigneron, de Didier Lobre, œnologue et dégustateur hors pair et du professeur Claude Sittler, éminent spécialiste de la géologie de l’Alsace…un casting
de rêve !
M. Sittler introduit cette séquence de dégustation par un bref exposé sur la formation des terroirs alsaciens et par la
description du Grand Cru Moenchberg : un coteau relativement fertile, orienté au sud et de nature géologique assez complexe, marno-calcaire avec plus ou moins de limons et de sables selon le
secteur.
Le professeur Sittler en pleine leçon et Claude Moritz au débouchage…théorie et pratique.
Dimanche 28 novembre 2010 : verticale de Riesling Grand Cru Moenchberg :
2007 : le nez est riche, balsamique et légèrement anisé, la bouche est droite avec un
équilibre sec et un beau gras, la finale est longue, sapide et marquée par quelques notes résineuses.
Un vin puissant mais déjà très convivial.
2005 : le nez est intense sur les agrumes mûrs et le caillou, en bouche la matière est
concentrée, la structure équilibrée et la finale légèrement poivrée persiste longuement.
Un vin au caractère à la fois explosif et civilisé : une force tranquille.
2004 : le nez est complexe et bien minéral, légèrement miellé et marqué par des arômes
d’herbes aromatiques, la bouche est svelte avec un équilibre strict et une finale qui révèle quelques notes épicées.
Un vin qui ne se livre pas facilement et qui réserve ses mystères aux dégustateurs patients…un riesling pour
méditer.
2003 : le nez est puissant et très complexe sur le moka, le pamplemousse, le romarin et même
une touche de noix, la bouche est ample, sphérique et puissamment aromatique, la finale est longue avec un retour des notes de noix.
Un festival aromatique sur une structure volumineuse : atypique mais vraiment grand !
2002 : le nez est classique, tout en élégance avec des notes d’agrumes et d’herbes
aromatiques, la bouche est droite avec une acidité très noble et une belle finale aromatique sur le thym et les épices douces.
Un vin épanoui qui joue sur les paradoxes en alliant une structure verticale et une palette exubérante : un très beau
riesling arrivé à son pic de maturité.
2000 : le nez est très franc mais profondément minéral avec des notes terpéniques et quelques
touches de zestes d’agrumes, la bouche possède un toucher très agréable et une structure assez ondulante et souple qui se resserre progressivement, la finale est assez longue et marquée par des
arômes de beurre et de vanille.
Un vin bien apprécié par la plupart des dégustateurs présents mais qui ne m’a pas entièrement conquis : la structure en
bouche qui manque un peu de cohérence me fait craindre un déclin en cours…j’espère me tromper !
1999 : le nez est intense et riche sur l’orange confite et les épices (ambiance marché de
Noël…), la bouche est ronde, équilibrée grâce à une belle acidité, la finale est longue et révèle une saline très intense.
Un riesling élégant et très séduisant arrivé à maturité…comme un avant-goût de la prochaine Masterclass de Thierry Meyer, dont
l’un des thèmes sera « l’évolution des rieslings 99 », j’ai hâte d’y être !
1998 : le nez est intense et frais sur la menthe poivrée, des notes de zestes d’agrumes et
d’épices se révèlent peu à peu pour composer une palette bien complexe, une acidité vive et immédiate se présente dès l’attaque en bouche, la structure est svelte et élégante avec un équilibre
très tonique, la finale persiste longuement en laissant apparaître quelques arômes de torréfaction et de fruits secs (amande, noix).
Un riesling à qui la patine du temps a apporté élégance et complexité…une belle émotion !
1997 : le nez est discret avec des notes de zestes d’agrumes et de fenouil, la bouche est
droite et minérale mais révèles de jolis arômes de bois de réglisse, la finale est un peu austère avec une amertume sensible.
Un vin qui se tient encore droit dans ses bottes mais dont l’apogée semble dépassé aujourd’hui.
De retour dans le caveau du rez-de-chaussée où nous attendent quelques amuse-bouche alsaciens, Claude Moritz nous propose de déguster quelques autres cuvées
sélectionnées sur la carte du domaine, avec entre autres :
Riesling Grand Cru Wiebelsberg 2004 : le nez est épanoui et complexe avec des notes
florales et légèrement balsamiques, la bouche est stricte, l’acidité est fine et très longue et la finale se prolonge sur de belles nuances minérales.
Malgré la difficulté du millésime ce riesling bien net propose une interprétation très classique de ce cépage en bouche même si le
nez assez exubérant nous fait attendre un équilibre moins austère.
Riesling Grand Cru Kastelberg 2008 : le nez est discret mais déjà bien complexe avec
des notes de citron, d’herbes aromatiques et un léger fumé, la bouche est finement ciselée autour d’une structure acide tendue, la finale est longue et fraîche.
La matière est pure et très tonique mais on sent bien que ce riesling est encore bien fermé…en tous cas, le potentiel est
indiscutable.
Gewurztraminer Grand Cru Wintzenberg 2003 : le nez expressif, d’une grande finesse
aromatique est tout entier dédié aux fleurs (rose, mauve, violette…), la bouche est mûre et riche , des notes de raisins confit viennent compléter les arômes de bonbon à la rose qui persistent
longuement en finale.
Un élixir floral qui a néanmoins une belle tenue en bouche…un vin pour esthètes.
Pinot Gris Collection Saint Charles 1999 : le nez est discret mais avec une palette
classique sur les fruits avec un léger fumé, en bouche le vin se distingue par un matière riche, un profil aromatique qui se complexifie et un superbe équilibre.
Une vendange rentrée à 1111 oechslé a généré un pinot gris généreux à qui ces 10 ans de garde ont conféré une patine très
raffinée…un vin qui dégage une sensation de plénitude qui me réconcilie avec ce cépage.
Pour conclure :
- dans la mesure où il imprime aux vins une marque bien particulière (un beau gras en bouche, une palette avec des notes
d’aromates et de tisane) le Moenchberg est à juste titre considéré comme un grand terroir.
Claude Moritz sert admirablement ce Grand Cru en élaborant des vins secs et droits qui jouent plus sur l’élégance et la minéralité que sur l’exubérance.
- pour les coups de cœur je choisirai 2 millésimes successifs qui montrent bien le potentiel de ce Grand Cru : le
2003 un peu baroque et le 2002 plus sérieux mais tous deux parfaitement équilibrés...du grand art !
Ceci dit, j’ai également beaucoup apprécié le Kastelberg 2008 pur et minéral et l’étonnante cuvée de pinot gris 1999,
insolent de jeunesse.
- je ne dirai jamais assez combien les oenophiles comme moi apprécient la démarche de ces vignerons qui font un réel
travail pédagogique pour nous aider à comprendre leurs vins.
Mille mercis à Claude Moritz et son équipe pour l’organisation régulière de ces exercices de dégustations verticales qui
conjuguent admirablement apprentissage et plaisir.
NB : deux autres verticales du domaines Moritz sont consultables ICI