Organisée comme d’habitude par Thierry Meyer cette Masterclass expérimentale hors du programme officiel de l’Oenothèque Alsace se propose d’aborder un thème complexe et assez pointu :
« A la recherche de l’excellence du vin par la maturité physiologique ».
Qu’est-ce qui nous permet de dire qu’un vin est grand ?
Sa concentration, son équilibre, la qualité de son acidité, sa minéralité, sa longueur en
bouche… ?
Le tout à la fois…et peut-être plus encore ?
En tous cas une chose apparaît comme une évidence : même si on ne trouve pas toujours les mots pour l’exprimer un
grand vin laisse toujours une impression de plénitude et d’aboutissement en bouche…et c’est vrai que souvent les mots pour décrire une belle quille sont souvent les plus difficiles à
trouver.
Un bon « P…. qu’est ce que c’est bon » (citation empruntée à un pote Dcien ardéchois) constitue parfois le
commentaire le plus adapté et le plus réaliste pour décrire les sensations laissées par une rencontre avec un grand vin.
Evidemment, en bon scientifique désireux de tout comprendre, notre ami Thierry a poussé sa réflexion un peu plus loin en
essayant de vérifier la probabilité d’une corrélation entre maturité physiologique des raisins et réussite d’un grand vin.
Face à la courbe presque immuable de la maturation du raisin et la courbe beaucoup plus irrégulière de la météo et de ses
avatars, le vigneron est contraint d’opérer des choix agronomiques pour aider la vigne à faire coïncider le plus possible la période de maturité physiologique avec celle de la richesse optimale
en sucre de ses raisins.
La réussite d’un grand vin dépend en grande partie de cet enjeu.
Après un exposé théorique où les données du problème ont été détaillées, Thierry nous propose une série de travaux pratiques avec la dégustation de vins d’Alsace
issus de millésimes difficiles comme 2004 et 2002.
Masterclass Alsace du 19 mai 2011 à Colmar
La plupart des vins sont servis par paire, dégustés et commentés à l’aveugle – verres INAO
1 : une série de 2004 alsaciens
Pinot Gris Cuvée Spéciale 2004 – Domaine Schoepfer à Wettolsheim : le nez est marqué par
la gentiane avec quelques notes de céréales et un peu de pamplemousse, la bouche est droite avec un équilibre très sec et une finale assez amère.
Sylvaner 2004 – Domaine A. Boxler à Niedermorschwihr : le nez possède un fruité bien mûr
quelques notes de miel et une touche de botrytis, la matière en bouche est assez dense, l’acidité est large mais la finale est marquée par une pointe d’amertume un peu âcre.
Deux vins qui déclinent le millésime de façon bien différente : un pinot gris visiblement rentré avec une maturité très juste
et un sylvaner plus mûr mais sûrement un peu botrytisé. Le premier vin est assez typique des 2004 avec tous ces petits défauts qui rendent facilement reconnaissables la plupart des crus de cette
année, le second fait illusion au nez mais ne résiste pas au verdict du palais : le cas assez typique d’un vin issu d’une matière concentrée mais physiologiquement loin du
terme.
Pinot Gris Cuvée Sainte Catherine 2004 – Clos des Capucins à Kaysersberg : le nez est mûr
sur le pain grillé, la confiture d’abricot et quelques notes d’humus, la bouche possède une matière riche, beaucoup de gras et un moelleux sensible, la finale est légèrement plus fraîche avec une
belle persistance aromatique
Ce pinot gris récolté sur l’Altenbourg et le Schlossberg est généreux…peut-être un peu trop. En tous cas, le cépage et le terroir
ont effacé la marque du millésime sans pour autant générer un grand vin.
Riesling Burg 2004 – Domaine G. Lorentz à Bergheim : le nez est franc et puissant sur la
résine et le camphre, la bouche est très tendue par une acidité qui se manifeste dès l’attaque en donnant un équilibre bien austère à l’ensemble.
Riesling Clos Hauserer 2004 – Domaine Zind-Humbrecht à Turckheim : le nez est racé et
complexe sur l’écorce d’agrumes, le cuir et quelques épices, l’attaque en bouche est acidulée, le développement tout en largeur et en rondeur laisse un impression légèrement moelleuse, la finale
est puissante, saline et de belle longueur.
Deux rieslings sur 2004 et toujours deux choix différents dans la gestion du millésime : le premier vin est très
(trop ???) sec le second s’éloigne des caractéristiques du cépage par un excès de maturité. Personnellement je reste quand même sous le charme opulent du second…
En guise de transition Thierry nous propose un flacon mystère :
Auxerrois Les Lutins 2007 – Domaine Josmeyer : le nez est frais, engageant, miellé et
délicatement floral, l’équilibre en bouche est légèrement gras mais reste très élégant, la finales est équilibrée et de belle longueur.
Récolté sur le terroir du Rosenberg, ce « simple » auxerrois se présente comme un exemple parfait de vin accompli qui
impose sa classe avec une évidence qui rend sa description difficile…et peut-être inutile. P… c’est bon !
2 : une expérience originale au domaine Sipp en 2004
Etienne Sipp, un des viticulteurs qui participe régulièrement aux manifestations de l’Oenothèque Alsace a profité de l’occasion pour nous relater une expérience
réalisée sur ce millésime complexe au domaine Louis Sipp de Ribeauvillé.
« D’abord on goûte, ensuite on explique »…il n’y a pas à dire, ces vignerons maîtrisent vraiment bien la pédagogie de la mise en
situation !
Vin 1 : le nez s’ouvre sur des notes caractéristiques de « Suze » pour se développer avec
de jolis arômes floraux et légèrement pierreux, la bouche possède un équilibre sec et une palette qui revient sur des notes de gentiane, la finale est très stricte.
Vin 2 : le nez est discret et très élégant sur le miel et le pomelo mûr, la bouche présente
une matière bien équilibrée entre gras et vivacité, la finale puissamment minérale est légèrement marquée par le millésime (gentiane, aspérule).
Vin 3 : le nez est discret sur le citron avec quelques touches de grillé (botritys), la bouche
est ample et délicatement moelleuse avec un gras opulent et une acidité tendue et longue qui relève la belle salinité finale.
L’histoire originale de ces 3 échantillons nous est racontée par Etienne Sipp.
Les 3 proviennent d’une même parcelle de riesling sur le Grand Cru Kirchberg de Ribeauvillé : vu l’état très hétérogène des
raisins, les vendangeurs ont été invités à trier les fruits botritysés dès la coupe. Les raisins sains ont été vinifiés à part et ont produit le vin du premier échantillon, les raisins botritysés
ont été vinifiés à part et ont produit le vin du second échantillon. Le vin n°3 a été réalisé en assemblant les 2 premiers (2/3 du premier et 1/3 du second) et a été commercialisée en tant que
riesling G.G. Kirchberg de Ribeauvillé 2004 au domaine Louis Sipp.
Cette petite séquence extrêmement intéressante nous montre que le métier de vigneron peut s’avérer vraiment très compliqué surtout
sur certains millésimes comme 2004 où la conception de grands vins exige une bonne dose de créativité.
Pour finir avec ce millésime un peu « maudit » Etienne Sipp nous offre une dernière bouteille :
Pinot Gris G.C. Kirchberg 2004 – Domaine L. Sipp à Ribeauvillé : le nez est fin avec
de discrets arômes de miel de fleurs, la bouche possède un équilibre vraiment superbe, gras, charnu, très gourmand et pourtant sec et tendu en finale.
Voilà une bouteille qui se tient vraiment très bien, sans le marquage aromatique des 2004 et avec une matière superbe en
bouche…comme quoi, lorsqu’on cherche des certitudes, ce n’est peut-être pas du côté de la viticulture qu’il faut aller voir !
En tous cas mille mercis à Etienne Sipp de nous avoir fait partager ce moment d’histoire du domaine avec cette
intervention illustrée par ces 4 jolies bouteilles.
3 : 3 vins de 2002.
Riesling Wintrange Felsberg 2002 – Domaine Schumacher-Knepper : le nez est franc et
discret sur la mélisse et la citronnelle, la bouche est plaisante avec une attaque très vive et un bel équilibre sec et tendu.
Riesling G.C. Kanzlerberg 2002 – Domaine S. Spielmann à Bergheim : le nez est marqué
par des notes de noisettes grillées évoluant rapidement vers des arômes de sous-bois et de champignon blanc, le toucher de bouche est assez gras et l’équilibre très fragile s’appuie sur une
structure acide présente et une légère amertume en finale.
Sancerre La Grande Chatelaine 2002 – Domaine J. Mellot à Sancerre : le nez est
discret sur la groseille blanche et le miel, la texture en bouche est bien grasse mais l’équilibre de l’ensemble est également un peu vacillant.
2002 a aussi été un millésime difficile en ce qui concerne la problématique de la maturité physiologique des raisins : cette
petite série très éclectique n’a pas fait émerger un profil commun mais nous a réservé quelques surprises…
Le premier vin, un modeste cru luxembourgeois récolté du côté de Schengen a nettement dominé le trio par son équilibre et sa
pureté, le second semblait très fatigué (une autre bouteille regoûtée quelque jours
plus tard a fait bien meilleure impression) et le troisième avait perdu beaucoup de sa vivacité.
Bref, un camouflet pour un oenophile alsaco-franco centrique comme moi…je ne vous remercie pas Monsieur
Meyer !
4 : pour la bonne bouche...
Altenberg 2001 – Domaine Deiss à Bergheim : le nez est discret et complexe sur le froment
et les épices, la bouche est puissante, avec des arômes de raisins secs et d’épices et un équilibre superbe alliant un joli gras et une grande salinité en finale.
Ce vin issu d’une complantation sur le Grand Cru Altenberg de Bergheim possède une matière riche (100g de SR) mais garde une vraie
élégance grâce à cette belle sapidité qui laisse une sensation de plénitude au palais.
2001 confirme son statut de grand millésime en Alsace.
Gewurztraminer G.C. Mambourg S.G.N. Cuvée Or 2008 – Clos des Capucins à
Kaysersberg : le nez est puissant et complexe sur les fruits jaunes très mûrs complété par des notes grillées et botritysées, la bouche très liquoreuse a un toucher est un peu
huileux mais la matière possède une densité inouïe et la longueur finale est phénoménale.
Personne ne peut pas rester insensible devant ce vin aux caractéristiques exceptionnelles (240g SR et 9g AT)…même si le sentiment
de too much n’est pas loin.
Pour moi, cette nouvelle rencontre avec cette référence mythique ne m’a toujours pas transporté sur les sommets que son prix
exorbitant devrait pourtant faire atteindre…Hélas !
Pour conclure
- Cette Masterclass expérimentale nous a aidé à prendre conscience de la complexité du travail du vigneron ainsi que
toutes les péripéties qui accompagnent souvent la naissance d’un grand vin. Le millésime 2004 avec ses avatars climatiques a été un thème d’étude ardu mais très formateur et l’intervention
d’Etienne Sipp qui nous a invités à revivre une expérience grâce à des flacons-témoins prélevés dans l’oenothèque du domaine a donné un relief tout à fait particulier à cette
séquence.
Mille mercis messieurs pour cette dégustation pédagogique.
- Comme cette série n’avait pas comme objectif principal de nous présenter une sélection de vins choisis pour leur haut
niveau qualitatif, je ne vais pas parler de coup de cœur aujourd’hui, mais plutôt de bouteilles marquantes, comme cet auxerrois de Josmeyer, la perfection dans la simplicité, le pinot gris G.C.
2004 de Sipp, un joli pied de nez à un millésime périlleux, ou encore le riesling luxembourgeois, qui montre une fois de plus que l’excellence n’a pas vraiment de frontière
géographique.
- En tous cas, cette après-midi a été l’occasion d’un véritable enrichissement personnel au niveau de mes connaissances
sur le monde du vin…vivement la prochaine leçon !