Avec l’âge, je me rends compte que j’aime de plus en plus ces habitudes qui ponctuent le cours du temps en me donnant la
trompeuse impression d’un défilement un peu moins rapide des années.
Depuis près de deux décennies, ce périple bourguignon fait partie des virgules temporelles indispensables à mon
bien-être : ces quelques jours dans le vignoble de la Côte d’Or me permettent d’envisager la fin de mes vacances estivales avec sérénité, gonflé d’une énergie positive nécessaire pour
entamer cette nouvelle année scolaire.
Comme nos deux jeunes membres du club A.O.C. qui nous avaient accompagnés en 2011 étaient retenus en Alsace pour des
raisons familiales ou professionnelles, nous voilà « on the road again » dans notre formation habituelle : en duo avec Martial, l’inventeur du béton au riesling.
Le programme de cette année est assez conséquent : trois étapes traditionnelles – Murat, Carillon et Castagnier – et trois nouvelles adresses – Carré, Rion et Chicotot.
Hoppla c’est parti !
Jour 2. : domaine Jérôme Castagnier à Morey
Depuis maintenant 4 ans mon périple bourguignon n’est vraiment complet qu’après avoir fait étape à Morey Saint Denis pour une
visite chez Jérôme Castagnier : ce voyage gustatif parmi les plus belles appellations de la côte de nuits est entré de façon définitive dans mon rituel vinique du mois
d’août.
Nous retrouvons notre vigneron musicien dans sa cave en compagnie d’un couple de cavistes tchèques qui viennent de dévaliser ses
stocks et qui ont quelques soucis avec la transaction bancaire au moment de régler leur facture. Après de longues tergiversations, qu’un problème de langue a rendues encore plus complexes
d’ailleurs, notre hôte peut enfin s’occuper de nous et nous accompagner dans notre habituel tour de cave…ouf !
Nous commençons cette séquence de dégustation par un petit échauffement avec les seuls vins en bouteilles qui restent disponibles à la vente (et encore, il ne reste
que quelques bouteilles !) :
Aligoté 2009 : le nez est discret sur le citron et la poire, la bouche est légère et très
droite avec une finale nette et pointue où on perçoit quelques notes de menthe fraîche.
Cet aligoté laisse toujours une belle impression de finesse et d’élégance qui lui confère un côté très immédiat et très avenant
tout en laissant deviner de belles potentialités gastronomiques. Rapport Q/P exceptionnel !
Bourgogne Grand Ordinaire Rosé 2009 : le nez est pur et flatteur sur la mandarine, l’abricot
et le miel, la bouche est d’un abord particulièrement agréable avec une rondeur avenante et une pointe acidulée en finale.
Lorsqu’on passe l’obstacle de ce nom vraiment peu engageant on retrouve dans son verre un rosé vif, facile et joliment
aromatique : 100% pinot noir sur une parcelle près de Morey…comment ne pas craquer !
Notre visite se poursuit dans le chai où Jérôme Castagnier nous propose des échantillons du millésime 2011 :
Jérôme Castagnier en pleine séance de dégustation dans son chai à barriques.
Coteaux Bourguignons : le nez présente un léger fumé et un fruité très discret, la bouche est
gourmande avec un fruit qui croque sous la dent et une structure bien solide qui soutient une finale d’une longueur appréciable.
Bien que complètement hors sujet – le secteur concerné par cette nouvelle appellation étant désespérément plat – il faut
reconnaître que le nouveau nom de ce vin est quad même plus vendeur que l’ancien : exit l’horrible « Bourgogne Grand Ordinaire »…il était temps !
Il n’en reste pas moins que cette cuvée que je goûte pour la première fois en cours d’élevage étonne par sa personnalité franche
et gourmande…le rapport Q/P est exceptionnel mais le volume produit est souvent assez faible. Avis aux amateurs !
Chambolle Musigny : le nez est discret, finement torréfié et développant des arômes de cerise
et de noyau sur un fond de pain grillé, la bouche est gourmande et joliment bâtie, la finale est fraîche et très déliée.
Modèle d’équilibre et d’élégance ce vin se laisse approcher sans difficulté dès son plus jeune âge tout en présentant une matière
solidement assise et prête pour tenir quelques belles années en cave.
Gevrey Chambertin : le nez est ouvert et bien complexe, vanille, mûre et griotte accompagnées
par une petite touche épicée composent une palette particulièrement séduisante, après une attaque assez vive, la matière s’arrondit voluptueusement en bouche avant de se tendre à nouveau un peu
plus en finale.
Comme sur les vins de 2009, ce Gevrey se montre plus ouvert et plus caressant que le Chambolle : il y a des millésimes qui
nous rappellent avec beaucoup d’à propos que les idées reçues ne tiennent pas face à la complexité du monde du vin. Il n’en reste pas moins que cette cuvée est d’une beauté
confondante…MIAM !
Le gevrey édition 2010
Morey Saint Denis : le nez s’ouvre sur des notes torréfiées (grain de café grillé) avant de
laisser transparaître de beaux arômes de fruits rouges bien mûrs, la bouche est dense, concentrée et pleine de sève, la finale commence à affirmer un marquage minéral bien profond.
Comme les années précédentes, ce Morey reste la cuvée de la série « villages » qui parle explicitement de son terroir
dès son plus jeune âge. Superbe vin !
Charmes Chambertin : le nez est plaisant mais encore un peu discret, on y reconnaît quelques
notes de cerise rouge avec une touche minérale qui commence à pointer, la bouche dense, concentrée mais bien équilibrée est d’un abord particulièrement agréable.
Jérôme a pour habitude de comparer les vins issus de ce grand cru à une « très belle femme » : il y a de
l’élégance, une classe affirmée mais aussi un côté immédiat très séduisant. Pour cette cuvée, il à choisi un élevage en barriques de chêne originaire de l’Yonne qui apporte un grain
particulièrement soyeux sans marquer excessivement l’aromatique. Superbe vin !
Clos Saint Denis : le nez est aimable, avenant, légèrement torréfié et discrètement fruité, en
bouche l’attaque est bien souple et la matière s’épanouit progressivement en révélant un très beau fruit et de petites notes épicées, la finale est longue avec une trame tannique fine et
serrée.
« Le Clos Saint Denis est un gentil fou, un peu à l’image d’un musicien comme Mozart…au début, on ne sait pas toujours où il
va aller mais ce qui est sûr c’est qu’au bout du compte, il va nous émouvoir et nous séduire » : notre vigneron-musicien possède l’art de la formule…mais c’est ce qu’il ressent face à
cette cuvée qu’il a choisi d’élever en barriques de chêne du Tronçais.
Comme chaque année, à ce stade d’évolution ce vin garde un certain mystère pour moi mais les éléments pour réaliser une belle
composition sont bien là. Patience !
Clos de la Roche : le nez est plus ouvert avec des notes de fruits rouges bien mûrs, d’épices
douces et de café, en bouche l’attaque est très franche, le vin affirme immédiatement sa puissance, la matière est dense avec une structure ample et sphérique, la finale est très longue et
finement boisée.
Prélevé sur une barrique de chêne des Vosges, ce Grand Cru montre ses muscles sans complexe dès son plus jeune âge, mais la
profondeur est bien présente et la complexité aromatique commence à se révéler…la noble provenance est signée. Plus wagnérien que mozartien, peut-être…mais grand vin
sûrement !
Le couple de grands crus de Morey édition 2010.
Clos de Vougeot : le nez est charmeur, complexe et pénétrant, on y perçoit des notes de fruits
noirs (griotte, cassis), de fleurs (violette, iris) et de discrètes nuances minérales, la bouche est ronde, dense, très concentrée avec une trame tannique veloutée et une finale longue où on sent
des arômes de cacao et de pierre chaude.
Face à ce vin qui, une fois de plus, me séduit pleinement je vais copier-coller ma remarque concernant la cuvée 2009 :
« Pas la peine de chercher d’autres mots, ce vin est déjà grandiose ». C’est dit !
Clos de Vougeot 2010
Grands Echezeaux : le nez encore très réservé livre quelques délicates notes florales, la
présence en bouche est plus manifeste avec une attaque généreuse, une matière large et très concentrée et une finale où on sent une belle présence tannique.
Après le flamboyant Clos de Vougeot, la retenue de ce Grands Echezeaux peut surprendre mais la bouche montre un caractère bien
trempé d’une personnalité dont le charisme va s’affirmer avec l’âge.
2012 fut une année très contrastée pour Jérôme Castagnier : d’un côté il y a beaucoup de joie et de fierté face au
succès grandissant et largement mérité des vins qu’il produit et de l’autre une immense tristesse suite à la disparition de son père « 2011 sera le dernier millésime où j’aurai bénéficié des
conseils et du soutien de mon père, je souhaite que les crus de cette année soient à la hauteur de l’hommage qu’il mérite ».
A mon humble avis, après ce tour d’horizon sur la production de ce jeune vigneron en 2011, Monsieur Castagnier peut
reposer en paix, son nom et sa mémoire resteront associés à des vins d’exception !
Comme je l’ai déjà souligné dans mes précédentes contributions Jérôme Castagnier est un perfectionniste à la vigne comme à
la cave. A l’heure actuelle il peaufine ses élevages en recherchant l’harmonie parfaite entre la futaille et le terroir : pour le Charmes Chambertin il pense avoir trouvé l’association
idéale, pour les autres grands crus, il ne s’est pas encore forgé de convictions absolues mais cela ne saurait tarder…
Pour ce qui est de la durée d’élevage, les mises sont théoriquement prévues en janvier 2013 pour les villages 2011 et en
mars 2013 pour les grands crus 2011 mais comme chaque année, Jérôme Castagnier procèdera à une dégustation de tous les vins avant de décider de soutirer et de mettre en
bouteilles.
Une fois de plus, je sors de cette dégustation en étant vraiment impressionné par la gamme de vins de ce domaine :
dans ces cuvées en cours d’élevage les terroirs sont déjà marqués avec une grande précision et l’homogénéité qualitative de l’ensemble des vins est impressionnante. S’il fallait vraiment faire
émerger quelques bouteilles de cette belle série de 2011, je choisirai les vins du secteur de Gevrey pour leur suavité étonnante et le Clos de Vougeot dont la noble prestance m’a laissé bouche
bée…
Merci à Jérôme Castagnier de nous avoir accompagnés une nouvelle fois pour cette promenade gustative en compagnie de ces
sublimes crus bourguignons !
Jérôme jouant du bugle dans ses vignes, photographié pour la revue « Cuisine et vins de France »…je n’ai pas
résisté !